vendredi 8 mars 2013

L'Insatiable Homme-araignée de Pedro Juan Gutierrez

Né en 1950, Pedro Juan Gutierrez est un écrivain cubain ayant écrit aussi bien des romans que de la poésie ou des nouvelles. Son premier livre Trilogie sale de La Havane, publié en 2000 chez Albin Michel, a rencontré un succès international. Ses thèmes de prédilection sont la violence, le sexe, la prostitution, la mort et bien sûr Cuba, thèmes que l'on retrouve dans son dernier recueil de nouvelles, L'Insatiable Homme-araignée. 

Écrit en 2002, ce recueil n'a été traduit en français qu'en 2012. Le personnage central est le narrateur, sorte de double de l'auteur : les deux hommes portent le même nom, exercent les mêmes professions d'écrivain et de peintre et partagent une grande passion pour les femmes. Sorte de photo instantanée ou de tranche de vie, chaque nouvelle correspond à une déambulation du narrateur, errant dans La Havane.

"Je ne savais pas encore ce que c'était que d'être amoureux comme un chien et de ne pas pouvoir se séparer d'une femme sans drame. Et je me disais: "Un homme ne doit jamais perdre le contrôle". Je me voyais comme un leader, qui maîtrise absolument tout. Et ça me plaisait beaucoup à moi, l'Implacable. Puis les années ont fait leur chemin et beaucoup de choses me sont arrivées."

A la fois concise et incisive, l'écriture de Pedro Juan Gutierrez va droit au but. Jamais vulgaire, elle est pourtant parfois très crue et très détaillée, surtout quand il est question des femmes et des relations que le narrateur entretient avec certaines d'entre elles. Le point fort de cette écriture est justement sa grande puissance d'évocation. En quelques lignes, c'est tout un univers qui se dessine avec sa faune haute en couleur. Certains personnages reviennent au gré des nouvelles et participent ainsi au sentiment de familiarité émanant du recueil.

L'autre force de ce livre est qu'il s'adresse aussi bien aux néophytes qu'aux connaisseurs de l'île. Dès les premières lignes, le lecteur est plongé dans la réalité cubaine, parfaitement décrite. On y retrouve la lutte quotidienne des habitants pour se procurer des produits de première nécessité (viande, papier toilette, etc.), la dureté de cette vie et les solutions que chacun doit inventer pour s'en sortir (prostitution, travail au noir, etc.) mais aussi la joie de vivre, la volonté et l'inventivité dont font preuve les Cubains. Et toujours, en filigrane, cette impression d'être dans une bulle où le temps et l'espace n'ont pas lieu d'être.

Pour les profanes, ce livre offre une première vision très réaliste de la vie quotidienne des cubains. Quant aux autres, leur lecture achevée, ils se plongeront dans leurs souvenirs et, nostalgiques, se remémoreront tout ce qu'ils ont vécu sur cette île envoûtante...

L’Espace du dedans, Pages choisies (1927-1959) de Henri Michaux


« J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie » déclare Henri Michaux dans un texte intitulé Passages, composé en 1950.
Toute l’œuvre de cet homme secret et polymorphe, à la fois écrivain, poète et peintre, né à Namur en 1899, pourrait peut-être se résumer de la sorte : une interminable et périlleuse traversée des tensions qui animent l'être, de ce que Michaux lui-même nomme « l'espace du dedans ».
La plupart des titres de ses ouvrages renvoient en effet à des notions de mouvement, d'exploration, de fuite en dehors du monde, que ce soit par le biais de l'expérimentation de drogues hallucinogènes comme la mescaline ou de l'immersion fantasmée dans des mondes lointains. De ses voyages de jeunesse, Michaux gardera le goût de l'étranger, voire de l'étrange. Il décrétera néanmoins très vite que la seule véritable aventure est d'ordre intérieur.
Grand admirateur de Tolstoï et de Dostoïevski, c'est cependant la découverte de Lautréamont qui le pousse à écrire. Très proche de Jules Supervielle ou encore de Jean Paulhan, son éditeur à la NRF, Michaux laissera pourtant le souvenir d'un écrivain solitaire, fuyant les journalistes et ses lecteurs.
L’Espace du dedans se présente sous la forme d'un recueil qui regroupe différents extraits d'ouvrages publiés entre 1927 et 1959, dont le texte éponyme publié en 1944.
Le style de Michaux se caractérise par la vitesse, qui témoigne d'une inadéquation fondamentale entre l'être et son environnement, alliée à la pratique du court-circuit syntaxique, de l'ellipse et de l'asyndète.
La cruauté du monde se saisit ainsi en creux, alors que le texte invite à l'introspection et à l'abandon de soi : « Un jour. Un jour, bientôt peut-être. Un jour j'arracherai l'ancre qu tient mon navire loin des mers. Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche. […] A coups de ridicules, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme que l'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables » écrit-il dans « Clown », l'un de ses poèmes les plus célèbres aujourd'hui, qui peut se relire, à l'instar de toute son œuvre, à l'aune de la critique de l'identité formelle du sujet développée en philosophie depuis Hume et vulgarisée par les travaux de Gilles Deleuze.

Le gaucho insupportable

L'Argentine est un roman, donc elle est fausse, ou au moins menteuse. Buenos Aires est une ville de voleurs et de gouapes,un lieu pareil à l'enfer, où la seul chose qui valait le coup était les femmes, et parfois,mais très rarement, les écrivains. La pampa, en revanche,était l'éternité. 

Publié à titre posthume dans un recueil éponyme, cette nouvelle de l'écrivain chilien Roberto Bolano nous plonge dans une Argentine en plein gouffre économique, qui se retrouve dans une situation de faillite.
Hector Pereda, avocat de Buenos Aires à la retraite fuit la crise et s'en retourne dans sa propriété d'Alamo Negro, domaine familial abandonné au cœur de la pampa. Seul dans ce désert, il se confronte à une vie qui lui est inconnue, où le temps s'écoule différemment, où l'immensité du vide contraste avec le bouillonnement de la capitale.
Mais la crise est partout; l'activité a disparu, les propriétés se sont vidées. Il n'y a plus de vaches, ni de chevaux, mais des lapins qui se regroupent le long de la voie ferrée ou à proximité des sentiers. Enfin, les gauchos désoeuvrés, en sont réduits à attendre impuissants que le temps passe alors même que leur mémoire s'efface.
A la manière des westerns de Peckinpah, où les derniers bandits assistent à la fin de leur monde et s'interrogent sur leur devenir, le vieil avocat cherche sa place. Au gré de ses fulgurances, il se métamorphose, épouse cette vie et se détourne de ce qu'il était.

Roberto Bolano mort à Barcelone en 2003, se penche sur les doutes d'un pays qui s'enfonce dans la crise. Comment trouver la volonté de vivre et de construire alors que tous les repères s'effritent ?         ( Bolano est lui-même malade).
Son récit est une fable crépusculaire dont le rythme se calque sur la lenteur du temps passant dans l'immensité désertique. Et si le fond est teinté d'un fort réalisme social, il y glisse des accents comiques et fantastiques qui se mêlent à une ironie qui n'est pas sans rappeler celle d'un Italo Calvino. Les personnages y sont loufoques et décalés et l'absurde qui transparaît dans certaines situations contraste avec la gravité des thèmes abordés.
 

Le Voyage de Zadim de Landy Andriamboavonjy et Charlotte Gastaut (2011)






Lire, regarder, toucher, écouter : dans le monde jeunesse, le livre est expérimenté dans tous ses états. Le Voyage de Zadim est un livre-CD, écrit par Landy Andriamboavonjy et illustré par Charlotte Gastaut, qui unit lecture et musique pour bercer les petits mais aussi les plus grands !

Dans un pays lointain, se trouve un sinistre palais habité par le grand sorcier Séléné et son fils Zadim, âgé de sept ans. Une terrible malédiction s’abat sur Séléné qui, condamné à l’insomnie, se meurt. Pour conjurer le sort, Zadim sillonne le monde sur son tapis volant, à la recherche de sept fleurs magiques. Sept fleurs à la voix mélodieuse qui berceront notre héros au cours d’un voyage semé d’embûches…

Le Voyage de Zadim est un conte initiatique et oriental qui possède toute la magie d’un récit des Mille et Une nuits. Landy Andriamboavonjy, auteure, chanteuse lyrique, musicienne et danseuse, partage à travers ce conte, les berceuses du monde (France, Madagascar, Espagne, Argentine, Israël, Inde et Japon) qu’elle a entendues et retranscrites. Avec deux CD compris dans le livre, nous pouvons aborder l’œuvre de manière multiple en lisant simplement l’ouvrage, en écoutant l’histoire, racontée par Landy Andriamboavonjy et Philippe Dormoy, ou en découvrant dans un second disque, l’intégralité des berceuses du conte ainsi que quatre chants inédits.

 Outre l’histoire empreinte de poésie et de musique lyrique, Le Voyage de Zadim émerveille par les illustrations aux mille couleurs et détails de Charlotte Gastaut. Sans s’éloigner de son univers, la dessinatrice ajoute une touche orientale à travers les vêtements et les arabesques. Ses couleurs étincelantes retranscrivent pleinement toutes les lueurs du ciel et le trait fin des personnages vient compenser la richesse de ses planches. L’apparence de Zadim, petit garçon à la peau blanche, aux joues roses et aux grands yeux noirs, est propre au style de Charlotte Gastaut. Les surprenantes fleurs quant à elles, nous subjuguent par leur beauté et s’harmonisent parfaitement avec ce monde enchanteur.  

Si vous êtes curieux de découvrir des berceuses du monde, lisez et écoutez Les Plus Belles Berceuses du monde aux éditions Didier Jeunesse.





« Eh bien, tu ne parles pas, tu ne chantes pas, tu n'es pas très belle... mais je te prends quand même! »
Zadim cueille rapidement la fleur, sans ses racines, juste avant le coucher du soleil.

jeudi 7 mars 2013

Pourquoi être heureux quand on peut être normal? Jeanette Winterson

Jeanette Winterson
21 janvier 1960, John William Winterson, ouvrier, et Constance Winterson, employée de bureau, se rendent à Manchester afin d'y adopter un bébé et l'emmènent chez eux, au 200 Water Street, Accrington, Lancashire. Mais Mrs Winterson pense rapidement avoir choisi « le mauvais berceau » et que la fillette est un bébé du Diable!

Écrasée entre un père quasi inexistant et une mère mystique et castratrice qui pense que le monde est une "poubelle cosmique" où l'amour n'existe pas, la petite Jeanette essaie de survivre et d'aimer. La vie devient alors un combat :
« J'ai lutté à mains nues quasiment toute ma vie. Dans ce genre de combat, le vainqueur est celui qui frappe le plus fort. »

Adolescente, alors qu'elle découvre son homosexualité, Jeanette est reniée et chassée par sa mère adoptive. Après avoir subi un exorcisme exigé par Mrs W., Jeanette décide qu' « il n'est jamais trop tard pour apprendre à aimer ». Elle partira dès lors, en quête du bonheur. L'apprentissage de l'amour sera un moteur essentiel dans cette quête, au même titre que la lecture.
En effet, ce sont les livres et la bibliothèque d'Accrington qui permettront à Jeanette de se sauver de la violence et du manque d'amour maternels et de se construire une identité. « Porte vers l'ailleurs », véritable « bouée de sauvetage », la littérature sera pour la fillette un remède, un espoir de liberté:
 « Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l'ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous? »

La lecture lui ouvrira bien une porte, celle de l'écriture. Après avoir lutté pour se construire et s'affirmer une identité sexuelle, Jeanette Winterson découvre son identité littéraire en devenant écrivain. Animée par le désir d'écrire, Jeanette y trouve un soulagement, un sentiment de libération. L'écriture est selon elle, une nécessité autant pour soi que pour autrui car l'acte d'écriture est un don, un partage, une ouverture au monde et aux autres.

Par le biais d'une écriture sincère et réflexive, Jeanette Winterson nous offre un récit intimiste qui mêle passé et présent, fait et fiction. Pourquoi être heureux quand on peut être normal? est le récit d'une vie, d'une quête de bonheur et d'identité qui donne envie de lire, d'écrire, de vivre.

Si vous avez aimé, vous pourriez apprécier: Vilaine: l’histoire vraie d'une enfant haïe par sa mère de Constance Briscoe.

Ultra Heaven de Keiichi Koike


Auteur méconnu en France, Keiichi Koike n'a vu que deux de ces œuvres traduites en français: Ultra Heaven et Heaven's Door. Ce mangaka peu prolifique, née en 1960, a vécu la révolution du manga et de la bande dessinée franco-belges durant les années 1970. Bien que le premier tome d'Ultra Heaven soit sortie en 2002 l'influence des revues comme Garo, ou encore Metal Hurlant, est si flagrante que l'on pourrait donner à cette série le même âge. Et c'est justement ces influences qui rendent ce livre passionnant: on retrouve à la fois le trait rapide et minimaliste du manga, mais avec des formes propres à la science-fiction de Moebius et surtout une mise en page explosée qui n'est pas sans rappeler celle de Druillet. Aujourd'hui Ultra Heaven est édité en 3 tomes chez Glénat avec une traduction de très bonne qualité (suffisamment rare pour être remarqué, il faut préciser que cette traduction a été supervisé par un japonais francophone). Vous pourriez-vous attendre à un ersatz de ces grands auteurs dans une version un peu plus exotique, pourtant ce mélange offre un livre, certes hybride, mais d'une liberté impressionnante. Et à la vu du scénario il semble évident que c'est justement cette liberté que recherchait l'auteur.
Dans un futur proche les bars se sont diversifiés et fournissent, en plus de l'alcool, des drogues par intraveineuse. Considérée inoffensive la consommation c'est vulgariser et leurs effets hallucinogènes permettent à la population de se détendre plus facilement: après une journée de boulot un petit shoot de Nirvana et vous voilà plongé dans un sauna pour une durée de 24H, tandis que sur votre montre l'heure n'avance que de 15min. Pratique n'est-ce pas ? Sauf qu'évidement la consommation est si facile que certains accro sont obligés de multiplier doses et mélanges pour pouvoir ressentir quelques-choses, c'est le cas de notre héros: Kab. Ce jeune paumé constamment à la recherche de sensation plus forte va entendre parler de l'Ultra Heaven: une drogue si puissante qu'elle modifie la perception au point que passé et futur, réalité et illusion, deviennent indiscernables. Perdue dans ses délires Kab devra se retrouver lui-même ainsi que notre réalité pour ne pas devenir fou, ou alors... maîtriser la situation en élevant sa conscience et se créer son propre monde. En attendant comment apprendre à gérer l'incompréhensible ?
A partir du moment où l'hallucination pénètre dans le livre les conventions qu'en aux dessins et à la mises en page n'ont plus de sens, l'auteur peut laisser libre cours à une expérimentation graphique et narrative. Une idée qui devrait ravir tous les nostalgiques des années 1970, période depuis laquelle la bande dessinée ne fut jamais si originale. Une série qui certes ne révolutionne pas le genre, loin de là, mais qui rassure qu'en a la recherche graphique dans un milieu éditorial où les mangas rivalisent de consensus. Un livre a recommander à tout amateur de science-fiction et à ceux qui veulent découvrir un auteur qui se démarque des productions récentes.




« - Je ne sais pas ce que j'ai en ce moment, je me sens toute raplapla.
-Tiens, essaie ça, c'est nouveau.
-Ultra Heaven ? C'est quoi ?
-C'est un trip enrichi en sérotonine et en tryptophane aux extraits naturels d'acide chlorhydrique fluoxétine. Ultra efficace !
-Euh... et c'est vraiment planant ?
-Si tu survis à la première dose.

Ultra Heaven*, le manga qui vous rend la vie plus belle !
(*Respecter les doses prescrites sous peine de commotion cérébrale.) »

L’anneau de Moebius de Frank Thilliez


« Stéphane aime le noir, le bizarre, avoir peur et faire peur. Il est continuellement à la recherche de nouvelles sources d'inspiration, pour créer ses monstres. Il ne se base pas uniquement sur l'imaginaire, il puise aussi dans la nature humaine, ses multiples dysfonctionnements. S'il devait descendre aux enfers pour découvrir le véritable visage du diable, je vous garantis qu'il le ferait. »




Mais Stéphane n’aurait jamais cru rencontrer le Diable en personne, le combattre, le voir lui retirer ce qu’il avait de plus cher, et succomber à sa folie.
Stéphane Kismet est hanté par des rêves étranges depuis son enfance. Aujourd’hui, il comprend que ce sont des images prémonitoires qui obéissent à une indéchiffrable et terrifiante logique. Vic Marchal est un jeune flic présent depuis 3 semaines à la Crim’ de Paris. Sa première enquête le plonge directement dans le monde des déviants sexuels et des monstres de la nature. Tout opposait ce flic peu taillé pour la Criminelle et ce plasticien de films d’horreur sujet aux psychiatries à répétition. Jusqu’à ce que le destin s’en mêle et imbrique leurs chemins dans l’horreur la plus pure…
Frank Thilliez n’a plus à faire ses preuves. Après avoir été découvert grâce à La chambre des morts et avoir reçu de nombreux prix, il sort en 2008 son sixième roman. Cet auteur prolifique qui se documente énormément pour toujours rester dans le monde du réel réussit un coup de maître en alliant deux thèmes peu voire non exploités. D’un côté, Thilliez nous emmène dans une paraphilie bien particulière : l'acrotomophilie. De l’autre, il nous plonge dans cette frontière mince entre hier et demain, entre le passé et le futur, dans la question même des voyages dans le temps. Ce récit flirte ainsi avec le fantastique sans pour autant oublier les éléments essentiels à un thriller convenable : des assassinats sauvages, une tension palpable, des personnages principaux à la psyché trouble et au vécu parfois difficile. 

Le vieux qui lisait des romans d'amour de Luis Sepúlveda


« Ce fut la découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l'antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire. Mais il n'avait rien à lire. »

Ne vous fiez pas à son titre : ceci n'est en aucun cas un roman à l'eau de rose, loin de là. Best-seller du chilien Luis Sepúlveda publié en 1992, traduit en trente-cinq langues et notamment en français par François Maspero, ce livre est un mélange d’aventures, de poésie, d’écologie et surtout une grande leçon d’humanité. Elle est empreinte de l’engagement politique de Luis Sepúlveda en faveur des peuples indigènes et sa contestation des dictatures passées.

Dans ce court roman d’une centaine de pages, l’auteur nous entraîne au fin fond de la forêt amazonienne, entre le Pérou et l’Equateur, dans le petit village d’El Idilio. C’est là que vit Antonio José Bolivar, un vieil homme, meurtri par la mort de sa femme Dolorès et passionné de romans d’amour tristes mais qui se finissent bien. Son quotidien va se trouver bouleversé lorsqu’un « gringo » sera amené mort par des Shuars, des indigènes vivant dans la forêt autour du village. Ces derniers seront accusés par la foule d’avoir tué l’homme mais le vieux, qui sait tout sur tout, reconnaît là l’œuvre d’une bête enragée, un jaguar femelle. Il se retrouve donc chargé de traquer la bête à travers la forêt, lui qui n’aspire qu’à la tranquillité auprès de ses romans d’amour.

On ne peut pas rester insensible à la lecture de ce roman. Tous les mots sont une invitation au voyage, à la découverte d’une culture et d’un mode de vie à l’opposé des nôtres. L' Amérique latine apparaît comme mystérieuse et sauvage ; un endroit où il est bon de prendre son temps et d’apprendre à connaître ceux qui nous entourent.  Ce conte philosophique donne une importance toute particulière à la nature, si belle mais en même temps si cruelle. Cette nature menacée par la soif de pouvoir et d’argent de l’homme mais qui, finalement, reprend ses droits.
Et que dire de la place faite aux livres dans ce roman ? La lecture, à travers la vision du vieux, devient un moyen de rompre la solitude et la monotonie du quotidien. Grâce à la beauté de la littérature, la réalité semble surmontable et chacun peut alors faire face aux épreuves qui l’attendent.


« - De quoi ça parle?
- De l'amour.
A cette réponse du vieux, il se rapprocha, très intéressé.
- Sans blague? Avec des bonnes femmes riches, chaudes et tout?
Le vieux ferma le livre d'un coup sec qui fit trembler la flamme de la lampe.
- Non. Ca parle de l'autre amour, celui qui fait souffrir. »