Un chœur nippon venu briser le silence
américain
« Sur le bateau, nous étions presque
toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et
nous n’étions pas très grandes. Certaines d’entre nous […] n’avaient que
quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. […] Parfois l’océan nous
avait pris un frère, un père, ou un fiancé […], et il était temps pour nous de
partir à notre tour. »
1919. C’est dans l’exultation, les cris et
les larmes qu’un bateau quitte le Pays du Soleil Levant avec, à son bord, des
rêveuses par dizaines. À l’autre bout du monde, des prétendants s’impatientent,
ces maris en devenir, qu’elles ne connaissent pas mais dont elles sont déjà
amoureuses. Une lettre ou un beau portrait comme gages d’une vie meilleure :
il ne leur a pas fallu plus pour laisser famille et pays. Mais le rêve s’arrête
net à San Francisco, point de non retour où des maris brutaux, le travail forcé
et le mépris des blancs les attendent. Dans une écriture incantatoire, les voix
se lèvent, se mêlent jusqu’à former un chœur et finissent par se taire à jamais
avec la guerre.
Julie Otsuka lève le voile sur un pan
occulté de l’histoire des États-Unis : la déportation des japonais pendant
la Seconde Guerre mondiale. Un sujet de prédilection pour l’auteur, qui
l’évoquait déjà dans son roman L’Empereur était un dieu (2002).
L’intimité est au cœur de son œuvre : un grand-père suspecté d’espionnage,
arrêté puis déporté, suivi de sa mère, son oncle et sa grand-mère. Après une
entrée remarquée dans son pays pour son
premier roman, la nippo-américaine se révèle enfin en France avec Certaines
n’avaient jamais vu la mer, récompensé par le prix Femina 2012. Une
reconnaissance méritée tant l’écriture fine et poétique culmine dans la
polyphonie, à l’instar des sublimes Lignes de Ryû Murakami. Des premiers
pas prometteurs qu’on suivra avec plaisir.
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