dimanche 3 mars 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka


Un chœur nippon venu briser le silence américain 


« Sur le bateau, nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n’étions pas très grandes. Certaines d’entre  nous […] n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles. […] Parfois l’océan nous avait pris un frère, un père, ou un fiancé […], et il était temps pour nous de partir à notre tour. »

1919. C’est dans l’exultation, les cris et les larmes qu’un bateau quitte le Pays du Soleil Levant avec, à son bord, des rêveuses par dizaines. À l’autre bout du monde, des prétendants s’impatientent, ces maris en devenir, qu’elles ne connaissent pas mais dont elles sont déjà amoureuses. Une lettre ou un beau portrait comme gages d’une vie meilleure : il ne leur a pas fallu plus pour laisser famille et pays. Mais le rêve s’arrête net à San Francisco, point de non retour où des maris brutaux, le travail forcé et le mépris des blancs les attendent. Dans une écriture incantatoire, les voix se lèvent, se mêlent jusqu’à former un chœur et finissent par se taire à jamais avec la guerre.

Julie Otsuka lève le voile sur un pan occulté de l’histoire des États-Unis : la déportation des japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Un sujet de prédilection pour l’auteur, qui l’évoquait déjà dans son roman L’Empereur était un dieu (2002). L’intimité est au cœur de son œuvre : un grand-père suspecté d’espionnage, arrêté puis déporté, suivi de sa mère, son oncle et sa grand-mère. Après une entrée remarquée dans son pays pour son premier roman, la nippo-américaine se révèle enfin en France avec Certaines n’avaient jamais vu la mer, récompensé par le prix Femina 2012. Une reconnaissance méritée tant l’écriture fine et poétique culmine dans la polyphonie, à l’instar des sublimes Lignes de Ryû Murakami. Des premiers pas prometteurs qu’on suivra avec plaisir.

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