vendredi 8 mars 2013


L’Espace du dedans, Pages choisies (1927-1959) de Henri Michaux


« J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie » déclare Henri Michaux dans un texte intitulé Passages, composé en 1950.
Toute l’œuvre de cet homme secret et polymorphe, à la fois écrivain, poète et peintre, né à Namur en 1899, pourrait peut-être se résumer de la sorte : une interminable et périlleuse traversée des tensions qui animent l'être, de ce que Michaux lui-même nomme « l'espace du dedans ».
La plupart des titres de ses ouvrages renvoient en effet à des notions de mouvement, d'exploration, de fuite en dehors du monde, que ce soit par le biais de l'expérimentation de drogues hallucinogènes comme la mescaline ou de l'immersion fantasmée dans des mondes lointains. De ses voyages de jeunesse, Michaux gardera le goût de l'étranger, voire de l'étrange. Il décrétera néanmoins très vite que la seule véritable aventure est d'ordre intérieur.
Grand admirateur de Tolstoï et de Dostoïevski, c'est cependant la découverte de Lautréamont qui le pousse à écrire. Très proche de Jules Supervielle ou encore de Jean Paulhan, son éditeur à la NRF, Michaux laissera pourtant le souvenir d'un écrivain solitaire, fuyant les journalistes et ses lecteurs.
L’Espace du dedans se présente sous la forme d'un recueil qui regroupe différents extraits d'ouvrages publiés entre 1927 et 1959, dont le texte éponyme publié en 1944.
Le style de Michaux se caractérise par la vitesse, qui témoigne d'une inadéquation fondamentale entre l'être et son environnement, alliée à la pratique du court-circuit syntaxique, de l'ellipse et de l'asyndète.
La cruauté du monde se saisit ainsi en creux, alors que le texte invite à l'introspection et à l'abandon de soi : « Un jour. Un jour, bientôt peut-être. Un jour j'arracherai l'ancre qu tient mon navire loin des mers. Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche. […] A coups de ridicules, de déchéances (qu'est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j'expulserai de moi la forme que l'on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables » écrit-il dans « Clown », l'un de ses poèmes les plus célèbres aujourd'hui, qui peut se relire, à l'instar de toute son œuvre, à l'aune de la critique de l'identité formelle du sujet développée en philosophie depuis Hume et vulgarisée par les travaux de Gilles Deleuze.

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