mercredi 6 mars 2013

Certaines n'avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka


« Qu’allions-nous devenir, nous demandions-nous, dans un pays aussi différent ? Nous nous voyions – peuple de petite taille, armé de ses seuls livres- débarquer au pays des géants. Se moqueraient-t-ils de nous ? Nous cracherait-on dessus ? Nous prendrait-on seulement au sérieux ? Toutefois, même les plus réticentes admettaient qu’il valait mieux épouser un inconnu en Amérique que de vieillir auprès d’un fermier du village » C’est dans cet état d’esprit que de jeunes japonaises, héroïnes du dernier roman de l’américaine Julie Otsuka, quittent leur pays natal en quête d’une vie meilleure,  incarnée dans les photos de maris encore jamais vus,  qui les attendent aux Etats-Unis. Mais cette vie rêvée se révèle être bien  différente de ce qu’elles attendaient. L’espoir, l’excitation, le bonheur laissent place dès la descente du bateau à la désillusion et au désespoir.  Ces femmes, unies en une seule et même voix, crient leur déception d’être mariées à des hommes inconnus , dans un pays inconnu  où elles peinent à trouver leur place entre l’exploitation, la discrimination ou encore l’indifférence.

Car c’est bien de cela qu’il est question dans ce poignant roman, les conditions de vie des japonais en Amérique pendant la Seconde Guerre mondiale. Car si la discrimination envers les afro-américains  est un thème déjà abordé, étudié un nombre incalculable de fois, aussi bien en littérature qu’au cinéma, celui du traitement réservé aux japonais à cette période reste tabou. Un tabou que Julie Otsuka se propose de briser.  C’est avec une écriture forte, incantatoire qu’elle met en lumière  les conditions de la cohabitation de ces deux cultures diamétralement opposées,  la cruauté et l’indifférence que les japonais ont dû affronter à cette époque, à travers les destins de ces jeunes femmes dont la voix puissante et émouvante nous transporte.

Julie Otsuka signe ici une œuvre empreinte d’émotion, révoltante, mais jamais larmoyante, récompensée par le Prix Femina 2012 et faisant d’elle une figure incontournable de la littérature contemporaine américaine.

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