mercredi 9 mars 2011

Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas, L’Olivier, 2010.

Le Quai de Ouistreham est une enquête en immersion au cœur de ce qu’on appelle, sans vraiment savoir ce que cela recouvre, la « précarité ».

Florence Aubenas est née en 1961. Elle a fait la plus grande partie de sa carrière de journaliste à Libération avant de devenir grand reporter au Nouvel Observateur. En 2005, elle a été retenue captive 157 jours en Irak après avoir été enlevée alors qu’elle réalisait un reportage à Bagdad. Florence Aubenas a déjà publié quatre ouvrages, dont une enquête sur l’affaire d’Outreau. Elle a été élue à la tête de l’Observatoire international des prisons en 2009.

Pour comprendre ce que signifie vraiment cette crise économique dont on nous a tant parlé, Florence Aubenas s’est immergée dans le monde de ceux qu’on appelle les « précaires ». Elle a pris un congé sabbatique sous prétexte de partir écrire un roman au Maroc, a loué une chambre de bonne dans une ville qui lui était inconnue, Caen, s’est teint les cheveux, a porté des lunettes, et s’est inscrite au chômage avec comme seul bagage dévoilé son baccalauréat. L’immersion a duré six mois.

L’auteure raconte son expérience au jour le jour, subjectivement. Elle décrit les rendez-vous au Pôle Emploi, les séances de formation et les conditions de travail harassantes. On découvre en même temps qu’elle que le travail ne se compte plus qu’en heures. Trouver deux heures de ménage par jour, même payées au minimum légal, même à trois heures de route de chez soi, c’est tout ce qu’elle pourra espérer.

C’est aussi à travers les rencontres qu’elle a faites qu’Aubenas décrit la réalité de la précarité. Collègues de travail, employeurs, conseillers de Pôle Emploi, formateurs : ce sont eux qui, par leurs comportements et leurs histoires personnelles, rapportés par Aubenas, permettent de comprendre les conséquences de la crise. Pleins d’espoir ou résignés, dociles ou en révolte face à un système aussi humiliant qu’inefficace, souvent solidaires les uns des autres, ces gens ancrent le récit dans une réalité humaine.

Cette réalité, Aubenas l’a vécue de l’intérieur. Au fil du récit, elle décrit sa fatigue, physique d’abord, puis morale, son découragement, sa colère parfois, les humiliations, l’angoisse d’être renvoyée à tout moment et sans ménagement pour avoir oublié de vider une corbeille à papier cachée sous un bureau, la peur de ralentir l’équipe toute entière par sa maladresse, etc.

Grâce à cette narration à la première personne et à la place que donne l’auteure à ceux qu’elle a rencontrés, cette enquête passionnante se lit comme un roman aux personnages particulièrement attachants.

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