mercredi 30 mars 2011

Pied de nez à la littérature noble

Je m'en vais, Jean Echenoz. Minuit 1999


« Je m’en vais », tels sont les premiers mots de ce neuvième roman de Jean Echenoz. Fidèle à son éditeur, Minuit, l’auteur est aussi fidèle à son style décalé où plane un soupçon d’autodérision. L’intrigue semble n’être qu’un prétexte à l’écriture mais n’est pas dénuée d’intérêt pour autant.

On y retrouve des personnages déjà connus par les lecteurs d’Un an (Minuit 1997), le précédent roman d’Echenoz. Mais l’héroïne d’alors, Victoire, devient ici personnage secondaire tandis que Ferre, figure peu exploitée dans Un an, occupe le premier plan dans Je m’en vais.

La cinquantaine, Félix Ferrer, en instance de divorce, tient une galerie d’art dans le neuvième arrondissement de Paris. Son employé, l’original Delahaye, décède un beau jour, à l’improviste pourrait-on dire, alors que Ferrer s’apprête, sur ses conseils, à partir au Pôle Nord à la recherche d’un bateau échoué et de son chargement : des œuvres d’art inconnues. Voyage au Pôle Nord, conquêtes féminines plus ou moins réussies, cambriolage de la galerie…, les péripéties s’enchaînent et s’entrelacent avec finesse. Même thème du voyage et de l’errance cher à l’écrivain qui prend le temps, malgré de fréquentes ellipses, de détailler à la seconde et au geste près l’emploi du temps si souvent banal de ses héros. Rien de nouveau, donc. Mais rien de redondant pour autant dans l’écriture echenozienne. Le narrateur, jouant subtilement à celui qui, tel le lecteur, ne connaît pas la suite de l’histoire qu’il raconte, captive son public. Ainsi Echenoz intervient dans le texte en posant par exemple cette série de questions (pages 127) : « Mais ne serait-il pas temps que Ferrer se fixe un peu ? Va-t-il éternellement collectionner ces aventures dérisoires dont-il connaît d’avance l’issue […] ? […] Serait-il revenu de tout ? ». L’écrivain joue sans cesse avec la langue, dépassant avec art les règles temporelles et les liens logiques (page 24 : « Car à l’époque dont je parle, le marché de l’art n’est pas brillant et, soit dit en passant, le dernier électrocardiogramme de Ferrer n’est pas très brillant non plus ») ; étant tour à tour narrateur distant puis omniprésent et complice de son lecteur (« Changeons un instant d’horizon, si vous le voulez bien », page 86). Echenoz joue aussi avec le lecteur en transformant chaque anecdote en élément primordial pour l’intrigue. Ainsi les places préférées des personnages dans le métro deviennent des fils conducteurs qui rendent compte, au fur et à mesure du livre, des caractères de nos héros. De même, le parfum d’une femme décrit aux premiers temps de l’histoire, réparait dans les dernières pages. C’est toute une atmosphère composée de concordances et de clins d’œil qu’instaure Echenoz. Une ambiance particulière se tisse au fil des pages, ambiance ouverte par le premier « je m’en vais », à la première page et refermée par son pendant « et je m’en vais » clôturant l’œuvre.

Ce grand roman qui mérite amplement son prix Goncourt est aussi, et peut-être surtout, un pied de nez à la représentation communément et bêtement admise d’une littérature noble nécessairement sérieuse. Echenoz, qui privilégie l’écriture à l’intrigue, parvient à mettre à la portée de tous une littérature à la fois riche et divertissante.

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