mercredi 30 mars 2011

O.N.G !, Iegor Gran (P.O.L, 2003)

Un immeuble, quelque part en France. Un jeune stagiaire se retrouve témoin d'une guerre entre deux O.N.G, la Foulée verte dont il fait partie, et Enfance et vaccin, les ennemis voisins. Un étage chacune, il s'agira pour l’une d'asseoir son pouvoir bio et pour l’autre d'exercer son influence humanitaire. Tous les coups bas sont permis, de la dégradation des affiches d'enfants lépreux à la destruction des vélos écolos.
Grand prix de l’humour noir en 2003, O.N.G ! de Iegor Gran est un roman qui mélange la naïveté du narrateur au ton acerbe d’une moquerie goguenarde, d’un regard ironique sur les « combats » altruistes des O.N.G, qui se transforment finalement en luttes intestines.
Julien, ce stagiaire bègue, agit pense et vit sous l’égide d’Ulis, gourou de la Foulée verte (« le feng-shui est nord ouest », « ce qu’il nous faudrait pour nous réveiller c’est qu’un millier de baleines viennent mourir sur nos côtes ») ; il se retient de tomber amoureux du bras droit d’Ulis, Celsa, pour qui ce sentiment serait une preuve de plus du sexisme ambiant. Une myriade de bénévoles vient compléter l’équipe verte face aux « maquerelles » d’Enfance et vaccin, capitalistes forcenées et dépersonnalisées (elles sont les « Vaccins »).
Influençable, ce narrateur particulier l’est au plus haut point : il fait siennes les valeurs politiquement correctes de l’O.N.G, partant du même coup en guerre contre ses parents, d’affreux « mini-bourgeois ». Il y a donc « nous », la Foulée verte, et « eux », Enfance et vaccin. Les causes écologistes ou humanitaires deviennent des outils d’attaque : « Face de pingouin » versus « Croûtes purulentes ».
Hiérarchiser les luttes (les pingouins sont-ils plus importants que les lépreux ?), développer une idéologie (« être bio dans son corps », « trouve[r] une place dans le cosmos »), ces entreprises portées par la vague humaniste actuelle sont pulvérisées sous la plume de Iegor Gran en poussières d’ego, d’orgueil mal placé. Son style est jouissif : sa langue est une hybridation d’un langage qui se veut décomplexé (« Grave mortel »), d’une tendance contemporaine au slogan (« C’est beau c’est bio »), sans pour autant se départir d’une élégance ironique (« Le piège se refermait sur nous. Le collectif de nos rêves s’envolait »).
C’est donc une tyrannie bien-pensante que fustige l’auteur, qui récidive cette année avec L’Écologie en bas de chez vous.
Né à Moscou, Iegor Gran est arrivé en France à l’âge de dix ans. Il y suit une scolarité difficile, puis, il l’écrit sur le site de son éditeur, « par désespoir, fait l’École Centrale. Par goût, fait autre chose ». Cette autre chose, la littérature, il la « fait » avec un talent certain. Il a publié neuf livres chez P.O.L entre 1998 et 2011. Que ce soit le Goncourt (Le Truoc-nog), le diplôme du bac (Ipso facto) ou encore les O.N.G, Gran s’attaque à décrire des éléments constitutifs et emblématiques de notre société et à les démonter dans des scénarii qui transcendent leur absurdité.

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