mercredi 30 mars 2011

Se perdre, pour y voir plus clair

Thomas l’Obscur, Maurice Blanchot

« Il y a, pour tout ouvrage, une infinité de variantes possibles. Aux pages intitulées Thomas l’Obscur, écrites à partir de 1932, remises à l’éditeur en mai 1940, publiées en 1941, la présente version n’ajoute rien, mais elle leur ôte beaucoup, on peut la dire autre et même tout nouvelle, mais aussi toute pareille, si, entre la figure et ce qui en est ou s’en croit le centre, l’on a raison de ne pas distinguer, chaque fois que la figure complète n’exprime elle-même que la recherche d’un centre imaginaire. »

Cette phrase, c’est celle qui ouvre le récit de Maurice Blanchot intitulé Thomas l’Obscur. Avant-propos dont la clarté n’est pas la plus flagrante des qualités, il a le mérite d’annoncer la tonalité de l’ouvrage.

Qui est Maurice Blanchot ? Romancier, critique, écrivain engagé contre l’antisémitisme et l’extrême droite, il laisse à sa mort en 2003 une œuvre conséquente. Si l’écrivain est plus connu pour ses ouvrages de critique littéraire, ce premier roman de Blanchot contient en germe toute la réflexion à venir de l’auteur de L’Espace littéraire .

Difficile de résumer l’intrigue de Thomas l’Obscur. Peut-on seulement parler d’intrigue ? Minimal, le récit ne compte que deux personnages : Thomas et Anne sont comme deux fantômes, et s’il n’est question que d’eux, on n’a pas moins l’impression d’avoir affaire à deux ombres esseulées. Chaque page est hantée par la mort, une thématique chère à Blanchot. Texte sur l’impossible communication entre deux êtres, Thomas l’Obscur sème le trouble. Thomas et Anne, attirés l’un par l’autre, mais incapables de mettre des mots sur ce feu qui les anime partagent tous les deux une fascination pour la mort. D’ailleurs, Anne finit par tomber malade, sans que l’on sache vraiment de quoi elle souffre. Toujours est-il qu’elle semble se complaire dans cette posture de mourante, partagée entre la grâce de cette situation et la hâte de rejoindre ce silence apaisant que représente la mort à ses yeux.

Blanchot prend un malin plaisir à déboussoler le lecteur. Ce faisant, il démontre avec un talent certain l’incapacité des mots à dire, à exprimer avec précision ce que ressentent les personnages. Paradoxalement il trouve les mots justes, pour ensuite mieux montrer leur futilité. Cette alchimie littéraire, Blanchot y parvient en mêlant des phrases à la polarité neutre, comme désactivées – « Elle était Anne, n’ayant plus aucune similitude avec Anne » – à des formules où la poésie côtoie l’absurde, pour créer une vérité toute personnelle, celle de l’univers de l’écriture : « Je fus donc le seul cadavre de l’humanité. »

Insondable autant qu’hypnotique, Thomas l’Obscur prend des risques : ni l’intrigue, ni l’interaction entre les personnages n’a réellement d’importance. D’un autre côté, le récit s’éloigne de toute prétention purement méditative. Thomas nous met en garde : « Je pense donc je ne suis pas. »

Assécher la langue ne suffirait pas à trouver les mots justes pour parler du silence. C’est ce que l’on retiendra du récit de Maurice Blanchot.

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